CHAPITRE DIX

 

 

Après la conférence qui s’était tenue sous la tente d’Otir, Turcaill revint vers le rivage de la baie abritée où était amarré son drakkar, dont les flancs bas se reflétaient dans les eaux calmes des hauts-fonds. L’ancrage à l’embouchure de la Menai était séparé des vastes étendues sablonneuses de la baie par une longue bande de galets, au-delà de laquelle les deux fleuves et leurs affluents se frayaient un chemin jusqu’au détroit et à la haute mer en une série de méandres à travers les sables. Turcaill s’arrêta pour contempler le paysage majestueux, la courbe de la baie qui s’étendait sur plus de deux milles au sud, l’or pâle des bancs de sable, le ruban d’argent sinueux de l’eau, le rivage vert d’Arfon moutonnant vers les collines dans le lointain. La marée montait mais n’atteindrait sa pleine amplitude que d’ici deux heures pour tout recouvrir, à l’exception d’une zone étroite de marais salants tout près de la côte. A minuit, elle commencerait à redescendre mais serait encore assez haute pour ramener le petit vaisseau avec son faible tirant d’eau vers la rive.

Après les marais salants, avec un peu de chance, il y aurait des buissons en suffisance pour abriter quelques hommes entraînés, se déplaçant silencieusement. Ils n’auraient d’ailleurs pas à aller loin. Le camp d’Owain devait couvrir l’ensemble de la péninsule. Même à son point le plus étroit il n’avait pas moins d’un mille de large, mais il y aurait des sentinelles à chaque extrémité. Pas aussi attentives ni aussi nombreuses peut-être sur le rivage de la baie, puisqu’une attaque des bateaux de ce côté était hautement improbable. Les grandes nefs d’Otir ne se risqueraient pas à traverser les hauts-fonds. Non, les Gallois se concentreraient sur la côte ouest, vers la mer.

Turcaill sifflait doucement, tout heureux, en regardant le ciel qui prenait ses couleurs crépusculaires. Encore deux heures avant le départ, et avec les nuages du soir qui couvraient légèrement la voûte céleste, formant un voile gris qui n’annonçait pas la pluie, la nuit les protégerait. Depuis l’ancrage, il devrait contourner la barrière de galets jusqu’à l’embouchure de la rivière mais cela ne prendrait qu’un quart d’heure de plus. Il décida plein d’allégresse qu’on pourrait embarquer bien avant minuit.

Il sifflait toujours joyeusement en regagnant le camp pour réfléchir aux détails de l’expédition quand il croisa Heledd qui redescendait de la crête à grandes enjambées souples. Son épaisse chevelure flottait librement sur ses épaules dans la brise qui s’élevait à la fin du jour, amenant la couverture de nuages. Chacune de leurs rencontres tenait de l’affrontement jusqu’à un certain point, accélérant la circulation de leur sang, ce qui était, curieusement, loin de leur déplaire.

— Que fais-tu ici ? demanda-t-il, cessant brusquement de siffler. Pensais-tu t’échapper en passant par la grève ?

Comme d’habitude, il se moquait d’elle.

— Je t’ai suivi, se borna-t-elle à répondre. Depuis la tente d’Otir. Je t’ai vu observer le ciel, la marée et ton serpent de bateau. J’étais curieuse, voilà tout.

— C’est bien la première fois que tu t’intéresses à moi, lança-t-il gaiement. Que me vaut cet honneur ?

— C’est que tu as l’air de partir en chasse et je me demande ce que tu mijotes encore.

— Mais rien du tout. Pourquoi cette question ?

Comme ils revenaient ensemble à pas lents, il la regarda avec plus d’attention que lors de leurs précédentes escarmouches car elle avait l’air de l’interroger à moitié sérieusement, voire d’être un peu inquiète. Captive, entre deux camps armés jusqu’aux dents, une femme seule était bien capable de sentir que quelque chose n’allait pas, qu’il se préparait du vilain et elle craignait pour ses compatriotes.

— Je ne suis pas folle, poursuivit-elle impatiemment. Je sais comme toi qu’Otir ne permettra pas à Cadwalader d’emporter sa trahison en paradis et qu’il ne laissera pas l’argent qui lui est dû lui filer sous le nez. Ce n’est pas son genre ! Il a passé toute la journée à réfléchir avec ses adjoints et puis te voilà toi, avec cet air ravi que prennent les hommes de ton espèce quand ils vont en découdre. Et tu essaies de me convaincre que rien ne se prépare ! A d’autres !

— Rien qui doive te troubler, je t’assure. Otir n’a rien contre Owain ni aucun de ses hommes. Ils ont rejeté Cadwalader qui reste seul pour se sortir de sa situation et régler ses dettes. Pour nous, c’est suffisant. Si on nous règle ce qu’on nous doit, on reprendra la mer et on ne vous embêtera plus.

— Bon débarras ! rétorqua vivement Heledd. Mais pourquoi devrais-je vous croire, toi et tes semblables ? Et pourquoi tant de bonne volonté ? A la première occasion, on se massacrera joyeusement et il y aura la guerre.

— Tu penses bien entendu que je suis impliqué dans cette histoire jusqu’au cou…

— Impliqué ? Responsable au premier chef, oui ! s’écria-t-elle véhémente.

— Est-ce trop te demander que d’avoir confiance en moi pour mener les choses à bonne fin ? demanda-t-il avec un grand rire où l’on devinait de la délicatesse et une certaine appréhension.

— Toi, et puis quoi encore ! lança-t-elle avec une certitude empreinte de méchanceté. Je te connais, il n’y a que le danger qui te plaise. Plus c’est risqué et plus tu es à l’aise ! Et tant pis si ça provoque une tuerie.

— Et comme tu es une bonne petite Galloise, tu as peur pour Gwynedd et pour tous ceux qui se trouvent dans le camp d’Owain, fit-il avec un sourire en coin.

— Je te rappelle que c’est là que se trouve mon fiancé, répliqua-t-elle sèchement.

— Mais oui, je ne l’oublie pas ton fiancé, promit Turcaill en grimaçant, j’éviterai tout ce qui pourrait l’amener à se battre. C’est la seule considération susceptible de retenir mon bras que de te voir mariée à un bon et solide insulaire d’Anglesey. Es-tu satisfaite ?

Elle s’était tournée pour le fixer intensément de son regard mauve sombre qui ne cillait pas, terriblement sérieuse.

— Tu es donc sur le point de te lancer dans je ne sais quelle entreprise démente pour Otir ! Tu as pratiquement avoué. Alors, souviens-toi de ta promesse, poursuivit-elle tandis qu’il s’abstenait de protester ou de nier. Prends soin de toi et reviens sans faire de tort à personne ni à toi-même. Et surtout à aucun de mes compatriotes ! s’empressa-t-elle d’ajouter en voyant ses yeux bleus briller d’intelligence, rejetant la tête en arrière, un rien trop vite toutefois pour sauvegarder la dignité qu’elle affectait.

— Surtout Ieuan ab Ifor, je suppose, acquiesça Turcaill, solennel.

Mais elle avait déjà tourné les talons et s’éloignait la tête droite, à grands pas énergiques vers le creux abrité où se dressait sa petite tente.

 

Cadfael se leva du coin qu’il s’était choisi parmi les buissons, inquiet, agité sans savoir pourquoi, laissant Mark qui dormait déjà. Il déposa son manteau auprès de son ami car la nuit était douce. C’est sur les instances de ce dernier qu’ils s’étaient placés tout près de la tente d’Heledd, mais sans empiéter sur son indépendance farouche. Cadfael cependant ne doutait guère plus qu’elle fût en sécurité chez les Danois. Otir avait donné des ordres qu’aucun de ses hommes ne se risquerait à prendre à la légère, même s’ils n’avaient pas eu en tête un profit plus conséquent qu’une petite Galloise, aussi charmante fût-elle.

Cadfael avait déjà remarqué au cours de sa vie aventureuse que les aventuriers étaient des gens éminemment pratiques, connaissant la valeur de l’or et des biens matériels. Dans ce qu’on pouvait désirer le plus comme butin, les femmes étaient loin de figurer au premier rang.

Il regarda du côté du coupe-vent de la jeune fille. Aucune lumière, aucun bruit, elle devait dormir. Mais lui n’y arrivait pas et cela le déroutait. Le ciel était paré d’un léger voile de nuages à travers lequel une étoile çà et là apparaissait, timide. Il n’y avait pas de vent, et la lune resterait cachée cette nuit. D’ici au matin il y aurait peut-être davantage de nuages, voire un peu de pluie. A cette heure de minuit, le silence était total, même oppressant ; l’obscurité sur les dunes qui rejetait dans l’ombre l’orient et l’occident se dissipait à peine sur la mer d’où émanait une lueur vague, maintenant que la marée était haute. Cadfael se dirigea vers l’est où la garde était moins fournie et où l’on risquait donc moins de lui demander pourquoi il était debout à une heure pareille. Il n’y avait pas de feux, sauf ceux au centre du camp que l’on avait couverts pour qu’ils brûlent doucement jusqu’au matin, et aucune torche ne trouait la pénombre. Les sentinelles devaient se fier à leur acuité visuelle. Frère Cadfael également. Petit à petit des silhouettes indistinctes prenaient forme, il commençait même à percevoir les courbes et les pentes des dunes. Il était étrange qu’on puisse se sentir si seul parmi la foule comme si la solitude était affaire de volonté et comment, à tout prendre, un prisonnier pouvait éprouver un sentiment de liberté plus grande que ses geôliers, gênés par leur nombre et la discipline qui leur était imposée.

Il avait atteint le haut de la crête dominant l’ancrage, où les plus petits, les plus rapides aussi, des vaisseaux danois étaient amarrés bien à l’abri entre la pleine mer et le détroit. Une ligne mouvante de lumière fuyante, qui ne cessait d’apparaître et de disparaître, léchait le rivage dans la courbe duquel il y avait une infinité de longs poissons minces, guère plus perceptibles que des taches de couleur un peu plus sombres, mises en relief par le mouvement de la marée. Ils frémissaient, sans s’éloigner cependant. Sauf un, le plus petit et le plus fin. Il quitta son mouillage si doucement que pendant un moment il crut avoir imaginé l’onde qui se propageait sur l’eau. Puis il distingua le bruit des avirons, tels de minuscules étincelles et il disparut presque avant qu’il pût le situer. Aucun son ne lui parvenait, même dans le silence de la nuit. Le plus vif des drakkars, et le plus maniable probablement, se faufilait dans l’embouchure de la Menai en prenant vers le levant.

Allaient-ils encore se lancer dans une razzia ? Si c’était le cas, il était censé partir nuitamment et se cacher quelque part au-delà de Carnarvon afin de se mettre en campagne dès avant le lever du jour. Il y aurait sûrement une bonne garnison en ville mais les rives seraient encore ouvertes aux maraudeurs même si les habitants avaient déjà mis leur bétail et leurs biens en sécurité dans les collines. Et un bon Gallois ne possédait rien qu’il ne pût emporter avec lui. S’il le fallait, il abandonnerait sa ferme sans barguigner pour la remettre en état quand le danger était passé. Ils agissaient ainsi depuis des siècles et étaient devenus orfèvres en la matière. Pourtant les champs et les villages les plus proches avaient déjà été pillés. Alors ? Cadfael se serait plutôt attendu à les voir ratisser la côte ouest et au diable l’armée d’Owain. Et voilà qu’un de leurs petits prédateurs s’engageait dans le détroit silencieusement. Il n’y avait par là que le passage de la Menai, à moins que, contournant la barrière rocheuse, le bateau ne se dirige après vers le sud en profitant de la marée. Cela était peu vraisemblable. Il était donc forcé de revenir à la même question : qu’avaient-ils en tête ?

— Ils ont fini par y aller ? murmura Heledd, d’une voix sombre, presque inaudible.

Elle était arrivée sans bruit à côté de lui, sur ses pieds nus, dans le sable encore chaud du soleil de la journée. Comme lui, elle regardait vers la berge et le vaisseau qui s’éloignait rapidement vers l’orient. Cadfael se tourna vers elle. La jeune fille était parfaitement maîtresse d’elle-même, son visage entouré de ses longs cheveux.

— Que voulez-vous dire par « ils ont fini par y aller » ? Vous n’avez pas l’air surpris. Dois-je comprendre que vous étiez au courant ?

— Non, je ne suis pas surprise. J’ignore tout de leurs intentions, mais ils préparent quelque chose depuis que Cadwalader les a floués. Je ne sais de quoi il s’agit et les conséquences que cela entraînera pour nous, mais ça ne présage sûrement rien de bon, du moins je le crains.

— C’est le bateau de Turcaill, déclara Cadfael.

Il était déjà si loin qu’ils ne pouvaient plus le suivre qu’en imagination. Mais il ne devait pas encore être arrivé à hauteur de la barre de galets.

— Il y a des chances ! S’il se trame quelque chose, il est dedans jusqu’au cou ! Il ne sait rien refuser à Otir, quoi qu’il puisse lui demander. Il irait au feu pour lui, sans songer aux conséquences, et il en redemanderait, encore.

— Mais vous, vous y avez pensé aux conséquences, déduisit Cadfael logique. Et elles ne vous plaisent pas.

— Ah ! pour ça, non alors ! s’écria-t-elle, véhémente. Vous voyez ce qui pourrait arriver s’il tuait un homme d’Owain ? Il n’en faudrait pas plus pour provoquer un massacre.

— Qu’est-ce qui vous laisse supposer qu’il va prendre un risque pareil et défier les soldats d’Owain ?

— Allez comprendre avec un fou comme lui ! lança-t-elle impatiemment. Ce qui m’inquiète, c’est ce que ça nous coûtera.

— Je ne le qualifierais pas de fou, répondit gentiment Cadfael. Je l’aurais plutôt vu raisonnable et adroit de ses mains aussi. Quelles que soient ses occupations du moment, attendez son retour pour le juger. Mais si vous voulez mon avis, il aura réussi dans son entreprise.

Il se garda bien de lui conseiller de ne pas se tourmenter pour lui.

Elle n’aurait jamais consenti à avouer qu’il avait vu juste, avec toutefois moins d’emportement maintenant que quelques jours auparavant. Il valait mieux ne pas insister. Il n’empêche que si elle était capable de donner le change aux autres, Heledd n’était pas du genre à se mentir à elle-même.

Il ne fallait pas oublier non plus que dans le camp d’Owain, il y avait celui qu’elle n’avait jamais vu, ce Ieuan ab Ifor, de trente ans à peine passés, ce qui n’est pas si vieux, très estimé de son prince, détenteur de bonnes terres et présentant bien. Bref, il avait beaucoup d’avantages sauf un. Ce n’était pas elle qui l’avait choisi.

— On verra demain, répliqua-t-elle, avec son bon sens plein de mordant. Nous ferions mieux d’aller dormir et nous préparer à ce qui va suivre.

 

Ils avaient contourné la barrière de galets et ils se maintenaient au milieu du détroit quand ils piquèrent au sud. Une fois qu’ils auraient bien avancé, ils pourraient se rapprocher du rivage et surveiller les premiers postes de garde du camp d’Owain établis sur la côte. Leif, le mousse de Turcaill, s’agenouilla sur l’étroit gaillard d’avant et plissa les paupières pour mieux scruter le rivage. Il avait quinze ans et parlait le gallois de Gwynedd, sa mère ayant été enlevée précisément sur cette côte nord-ouest à l’âge de douze ans lors d’un raid danois et ayant épousé un Danois du royaume de Dublin. Mais elle n’avait jamais oublié sa langue maternelle qu’elle employait toujours avec son fils depuis qu’il avait appris à parler. En plein été, il se promenait à moitié nu parmi les villages gallois et les communautés de pêcheurs, passant aisément pour l’un des leurs. Son talent à acquérir des renseignements s’était plus d’une fois révélé précieux.

— Cadwalader est toujours resté en contact avec ses amis, leur avait expliqué Leif. Il y en a parmi eux qui seraient prêts à lui donner la main s’il entreprenait quelque chose par lui-même. Il paraît qu’il aurait envoyé un mot à ses compagnons de Ceredigion depuis le camp d’Owain. Ce qu’il y a dedans, mystère. Leur a-t-il demandé de le rejoindre en arme ou de se disposer à rassembler des fonds et du bétail s’il est obligé de nous payer ce qu’il nous doit, je ne sais pas. Mais si un messager vient pour lui parler, il n’y verra pas malice, au contraire.

Et ce n’était pas tout ce qu’il avait à leur apprendre. Il savait écouter, ce petit.

— Owain ne veut plus avoir de relation avec lui. Il s’est entouré de quelques-uns de ses familiers et s’est établi à l’extrémité sud du camp, dans le coin le plus proche de la baie. Si donc il reçoit des nouvelles de ses anciens domaines, il accueillera l’envoyé et Owain n’y verra que du feu. Il pousserait les montagnes à se battre, celui-là, si c’était à son avantage, conclut Leif avec sagacité.

Il n’y avait rien à répondre à cela. Tous ceux qui connaissaient Cadwalader savaient que c’était la pure vérité. Si les Danois avaient mis du temps à la comprendre, maintenant ils étaient convaincus. Et Leif serait aussi bon messager que n’importe qui. A quatorze ans, un Gallois devient adulte et on le reconnaît comme tel.

Le navire s’approcha précautionneusement de la côte. Les silhouettes des dunes, des galets ou des buissons disséminés présentaient des formes plus ou moins sombres selon la densité de l’obscurité, et glissaient sur leur droite. Bientôt ils arrivèrent en vue du camp d’Owain, dont ils distinguèrent surtout les traces d’activité montrant que l’endroit était occupé, odeurs de fumée, senteurs résineuses du bois fraîchement coupé pour dresser la palissade, et même des murmures confus qui bruissaient dans la nuit car, à dire vrai, on n’y voyait goutte. L’homme de barre amena son esquif encore plus près, attentif à ne pas se prendre dans les herbes des marais qui affleuraient sous la surface paisible de l’eau, attendant de franchir la partie principale du camp et de toucher le coin sud ; là semblait-il, Cadwalader avait installé ses quartiers à l’intérieur des fortifications, regroupant autour de lui certains de ses anciens féaux dont l’attachement à son frère n’était pas aussi fort que celui qu’ils avaient pour leur véritable suzerain. Plus d’une sorte de messager tenterait de le joindre et on pouvait vouloir lui exprimer davantage que le souvenir que beaucoup avaient gardé de sa folle générosité. D’aucuns le tenaient toujours pour le prince et lui devaient à ce titre fidélité. Certains avaient gardé en mémoire non seulement des privilèges, mais aussi des responsabilités et des dettes pendantes.

La ligne côtière s’éloigna d’eux en plongeant vers l’ouest avant de se refermer progressivement sur eux quand ils continuèrent leur route. Une chaleur vague, et un frémissement qui n’était pas exactement un son, mais une sensation assez primitive, évoquant la présence d’autres êtres humains, invisibles, inaudibles, sur le qui-vive, éventuellement hostiles, se laissait percevoir dans le vide et le silence de la nuit.

— C’est bon, maintenant, souffla Turcaill à l’oreille du pilote. Amène-nous à la côte.

Les avirons s’enfoncèrent doucement. Le bateau s’immobilisa sans bruit parmi les touffes d’herbe et toucha le fond sans plus de bruit qu’une plume qui tombe. Leif passa les jambes par-dessus le bastingage et se laissa glisser. Il sentit du sable ferme sous ses pieds nus ; l’eau lui arrivait à peine aux genoux. Il jeta un coup d’œil à la partie du rivage qu’ils venaient de franchir et au camp enténébré au-dessus duquel on devinait encore la faible lueur du jour passé.

— On est tout près. Attendez que je vous appelle.

Il était déjà parti, se frayant un chemin dans la végétation salée et les quelques taillis sur la pente des dunes, qui se changeaient ensuite en pâturages puis en bonnes terres arables. Sa silhouette gracile ne tarda pas à se fondre dans la douce pénombre ambiante.

Quand il revint au bout d’un quart d’heure, émergeant de la nuit comme une nappe de brume, ils avaient eu beau l’attendre impatiemment, tendant l’oreille pour parer à tout danger éventuel, ils ne l’espéraient pas si tôt. Leif pataugea dans l’eau froide parmi les buissons de prés salés avant d’atteindre le bastingage et de leur murmurer, tout excité, qu’il l’avait trouvé.

— Il est à deux pas, avec une sentinelle qui surveille les alentours. S’approcher de lui par ici, en secret, c’est un jeu d’enfant. Ils ne s’imaginent pas qu’on puisse attaquer par là. Il se déplace comme il veut, comme ceux qui préfèrent lui obéir plutôt qu’à Owain.

— Tu n’es pas entré ? interrogea Turcaill. Tu es passé devant le garde ?

— Pas la peine ! Il y a quelqu’un qui est arrivé à l’instant juste sous mon nez. Il venait du sud.

Moi, j’étais dans les fourrés. Si on l’avait arrêté, j’aurais entendu. Il lui a suffi d’ouvrir la bouche pour qu’on l’accueille. Et j’ai vu où on le conduisait. Il est en grande conversation avec Cadwalader pour le moment, et le garde, on l’a renvoyé à son poste. Il n’y a que Cadwalder et son visiteur, donc et un seul garde entre nous et eux.

— Tu es sûr que Cadwalader est là-bas ? murmura Torsten. Tu ne pouvais pas le voir d’où tu étais.

— Non, mais j’ai reconnu sa voix. Rappelle-toi que j’ai été à son service depuis le temps où on a quitté Dublin. Tu crois que je pourrais me tromper ?

— Qu’est-ce qu’ils se sont raconté ? L’autre, sais-tu qui c’est ?

— Il n’a pas prononcé son nom. « C’est toi ? » s’est-il écrié, mais rien de plus. Il avait l’air surpris, assez satisfait aussi, même plus que ça ! Une fois que le garde sera réduit au silence, on pourra en emmener deux pour le prix d’un et comme ça, on saura qui est l’autre.

— Il n’y en a qu’un qui nous intéresse, intervint Turcaill, et c’est lui seul qu’on remmènera. Et pas d’effusion de sang ! Owain n’a rien à voir dans tout ça, mais il changera sûrement d’avis si on lui tue un de ses hommes.

— Et il ne lèverait pas le petit doigt pour son frère ! s’étonna Leif, à mi-voix.

— Il n’a pas non plus à craindre pour lui. On ne touche pas à un cheveu de sa tête, c’est entendu ! S’il nous paie ce qu’il nous doit, il repartira en un seul morceau, comme quand il a loué nos services. Owain le sait parfaitement. Inutile qu’on le lui précise. Allez ! il faut qu’on reparte avec la marée.

Ils avaient déjà établi leur plan et s’ils n’avaient pu et pour cause tenir compte du visiteur inattendu, sa présence n’était pas vraiment un obstacle. Deux hommes seuls enfermés dans une tente loin du centre du camp offraient une cible facile, une fois la sentinelle hors d’état d’intervenir. Quant au confident de Cadwalader – que mijotaient-ils ces deux-là ? – il risquait bien quelques horions, mais il s’en remettrait.

— Je m’occupe du garde, déclara Torsten qui fut le premier à descendre du côté où Leif attendait.

Cinq rameurs suivirent leur chef. La nuit les abritait, silencieuse, indifférente. Leif prit la tête, revenant sur ses pas, en direction de l’enceinte du camp. Il s’arrêta dans un bosquet clairsemé, qui faisait un abri relativement précaire, et regarda à travers les branches. La ligne de défense devant eux n’était plus que de la nuit compacte alors que les autres silhouettes étaient sinueuses, fuyantes. On pouvait voir le féal de Cadwalader par l’interstice de la porte gardée, car il passait devant à grandes enjambées et sa tête, ses épaules se dessinaient sur le ciel. Il était grand, armé, mais rien dans ses mouvements n’indiquait l’inquiétude. Torsten observa un instant la patrouille qui prenait son temps, évaluant son importance, puis se glissa parmi les arbres pour se trouver derrière le point le plus éloigné, à l’est, du parcours qu’elle décrivait, là où les buissons touchaient presque la palissade et où il était facile de se rapprocher sans risquer d’être découvert.

L’homme de garde sifflotait doucement en tournant dans le sable meuble. Torsten l’étreignit avec force et, lui plaquant une main sur la bouche, lui coupa net le sifflet. Il leva frénétiquement les bras pour essayer de se dégager mais ne put monter assez haut ; ses tentatives pour donner des coups de pied lui valurent de perdre l’équilibre, sans causer de tort à son agresseur qui le jeta à terre et lui tomba dessus sans autre forme de procès, le maintenant de force à plat-ventre. A ce moment Turcaill vint à la rescousse, prêt à bâillonner l’homme, dès qu’on lui permettrait de lever le nez et de recracher l’herbe, le sable dont on ne l’avait pas ménagé. Ils lui fourrèrent la tête et les épaules dans son manteau, le laissèrent pieds et poings liés, et l’abandonnèrent à son triste sort, peut-être inconfortable mais sans danger. Ils retournèrent ensuite aux abords du camp. Il n’y avait pas eu de cri, personne n’avait bougé. Près des tentes princières, il y aurait profusion d’hommes bien réveillés, prêts à toute éventualité, mais ici, dans cet endroit que Cadwalader n’avait pas choisi par hasard, il n’y avait personne pour le protéger du sort qui le guettait.

Seuls Turcaill, Torsten et deux autres Danois suivirent Leif quand il franchit sans bruit la porte restée sans surveillance pour longer la barrière et gagner l’endroit où il se rappelait avoir perçu les accents autoritaires, très reconnaissables, de la voix de Cadwalader, au moment où il avait salué celui qu’il n’attendait pas, à l’heure de minuit. Les lignes du camp se terminant à cet endroit, les envahisseurs se déplacèrent en silence, ombres parmi les ombres. Leif tendit le doigt sans souffler mot. C’était inutile. Même dans un camp militaire, Cadwalader avait droit à des égards que nul ne songerait à lui refuser. Sa tente était vaste, à l’épreuve du vent et des intempéries. Elle était probablement bien meublée, de plus. Près du rabat qui protégeait l’entrée, des traits fins de lumière apparaissaient, et dans l’air immobile les voix se fondaient en un murmure ténu qu’on ne pouvait saisir. Le messager venu du sud était toujours avec son seigneur, à échafauder avec lui Dieu sait quels plans et à lui communiquer des nouvelles.

Turcaill posa la main sur le rabat et attendit que Torsten, la dague au poing, ait contourné la tente pour dénicher les coutures de derrière où les peaux étaient cousues ensemble. Qu’il s’agisse de minces lanières de cuir ou de cordes graissées, elles ne résisteraient pas à une lame bien affûtée. A la manière dont la faible lumière brillait à l’intérieur, elle devait provenir d’une simple mèche posée dans une soucoupe pleine d’huile, placée sur un tabouret ou un tréteau. Ceux qui venaient du dehors resteraient invisibles, alors que Torsten, occupé à choisir l’endroit le plus favorable, devinait plutôt qu’il ne voyait les silhouettes des deux hommes assez proches l’un de l’autre, attentifs, absorbés, ne s’attendant pas à être interrompus.

Turcaill écarta le rabat et s’engouffra si vite sous la tente, immédiatement suivi de deux de ses acolytes, que Cadwalader n’eut pas le temps de sauter sur ses pieds pour protester contre cette intrusion. Il avait à peine fait quelques pas, prêt à laisser libre cours à son indignation qu’une lame nue se posa sur sa gorge. Aussitôt le prince, tout furieux qu’il était, s’arrêta, frémissant. C’était un homme intrépide, mais pas au point de risquer un coup de poignard alors qu’il n’était pas armé. Celui qui était assis sur la couverture de prix se lança à l’attaque et sauta sur Turcaill. Mais dans son dos, Torsten avait fendu les courroies servant à assembler la tente et de sa grande main, il empoigna l’étranger par les cheveux et le tira en arrière. Avant que ce dernier ne puisse se relever, les hommes de Turcaill l’avaient roulé dans les couvertures du lit et immobilisé.

Cadwalader resta immobile, silencieux, très conscient de l’arme qui lui piquait le cou. Ses beaux yeux noirs étincelaient de fureur, il serrait les dents pour se contenir mais il n’esquissa pas le moindre geste alors que son hôte, accueilli avec tant de plaisir, était réduit en dépit de sa résistance, à l’impuissance et déposé délicatement sur la couche de son seigneur.

— Pas un bruit et il ne t’arrivera rien, intima Turcaill. Si tu cries, je ne réponds de rien. Il y a un point de détail dont Otir aimerait discuter avec toi.

— Tu me le paieras ! murmura Cadwalader entre ses dents.

— Si tu veux, acquiesça obligeamment Turcaill. Mais ce sera pour plus tard. Je te laisserais bien le choix entre nous suivre de gré ou de force, mais je n’ai pas confiance.

Aussi donna-t-il ordre à ses deux rameurs d’attacher le prisonnier avant de remettre sa dague dans son étui.

Cadwalader ne fut pas assez vif pour profiter du seul instant où il aurait pu crier et appeler une dizaine d’hommes à son secours. Lorsque le poignard ne le menaça plus, il tenta de crier, mais on lui jeta un linge sur la tête et une main puissante lui en enfonça une partie dans le gosier. Il ne put émettre qu’un gémissement bref et étranglé. Il se défendit comme il put, mais le rude lainage le paralysait et on le lia serré.

Leif montait la garde au-dehors, l’oreille aux aguets et regardant partout pour déceler le moindre mouvement annonciateur d’une menace mais tout était calme. En s’isolant aussi efficacement pour pouvoir s’entretenir à l’abri avec son visiteur, Cadwalader avait donné un sérieux coup de main à Turcaill. Personne ne bougeait. Dans le taillis où ils avaient laissé la sentinelle, les derniers membres de l’expédition apparurent et rejoignirent leurs camarades avec un petit rire silencieux quand ils virent le fardeau qu’ils portaient et les cordes qui l’entravaient.

— Le garde ? souffla Turcaill.

— Il va très bien. Il jure comme un charretier. On serait bien inspirés d’être à bord avant qu’on se rende compte de son absence.

— Et l’autre ? demanda Leif, comme ils repartaient d’où ils étaient venus. Vous l’avez laissé sur place ?

— Il se repose, émit Turcaill.

— Je croyais qu’on ne devait tuer personne ?

— Il n’est pas mort. On ne l’a pas abîmé, rassure-toi. Owain n’a pas plus de raison de nous en vouloir que quand on a mis le pied sur son territoire.

— N’empêche qu’on ne sait toujours pas qui c’était, celui-là, insista Leif, marchant à ses côtés dans le sable humide laissé par la marée descendante. Ni ce qu’il venait faire. Tu regretteras peut-être de ne pas t’être assuré de lui pendant que tu en avais l’occasion.

— On nous avait chargés d’une mission précise, concernant un seul homme. On le ramène, voilà tout, répliqua Turcaill.

L’équipage se pencha pour hisser Cadwalader et le déposer entre les bancs avant d’aider leurs compagnons. L’homme de barre se pencha sur son lourd gouvernail, les rameurs saisirent leurs avirons, éloignant tout doucement le bateau du rivage le long du sillon qu’il avait creusé dans le sable ; puis s’étant dégagé, le navire s’élança rapidement en suivant la marée.

 

Avant l’aube, ils livrèrent, non sans une certaine fierté, leur homme à Otir, qui venait tout juste de se réveiller mais dont l’œil ne s’illumina pas moins tant cette rencontre lui causait de plaisir. On rendit un peu de liberté à un Cadwalader qui étouffait à moitié, tout rouge, ébouriffé, animé d’une rage folle mais qui cependant parvenait à se contenir dans un silence hostile.

— Des ennuis en route ? demanda Otir, regardant son prisonnier avec une évidente satisfaction.

Il l’avait récupéré sans lui infliger la moindre blessure ni mettre dans l’embarras son redoutable frère ou âme qui vive. La mission avait été une réussite totale et il entendait exploiter pleinement ce succès.

— Aucun, répondit Turcaill. Il s’était lui-même passé la corde au cou en s’isolant complètement et en prenant un homme à lui comme sentinelle. Pas par hasard ! Il attendait des nouvelles de ses anciens domaines et il s’était arrangé pour se ménager des ouvertures. Parce que, d’après moi, s’il attend un bon mouvement d’Owain, il peut toujours courir.

A ces mots, Cadwalader ouvrit la bouche, et ce ne fut pas une petite affaire, doutant de ce qu’il venait d’entendre.

— Tu ne connais rien aux liens du sang chez les Gallois. On se tient les coudes entre frères. Tu ne vas pas tarder à comprendre que ton geste va amener Owain à intervenir avec toute son armée.

— Je n’en doute pas. C’est au nom de cette solidarité que tu es venu nous chercher à Dublin pour mener ta petite guerre contre ton frère, répliqua Otir avec un rire bref.

— Tu vas voir, aboya Cadwalader, ce qu’Owain est prêt à risquer pour moi.

— Parfait, en ce cas on sera deux. Tu seras ici logé à la même enseigne que nous. Il nous a expliqué, et sans y aller par quatre chemins, que la querelle qui nous oppose toi et moi ne le concerne pas et que tu dois régler tes dettes. Et crois-moi, ce sera chose faite avant que tu ne sortes de ce camp. Je te tiens et tu vas me payer jusqu’au dernier sou. En argent, en bétail ou en tout ce qu’on pourra tirer de toi. Après, tu seras libre, et tu pourras récupérer tes terres ou vivre d’aumônes, selon le bon plaisir d’Owain. Et je t’avertis, inutile de lorgner du côté de Dublin pour qu’on vienne à ton aide, on sait ce que vaut ta parole. Puisque c’est comme ça, fit-il en appuyant sa mâchoire massive sur son poing impressionnant, on va veiller à ce que tu ne t’envoles pas, crois-moi !

Il se tourna vers Turcaill qui avait suivi la scène avec détachement car il avait déjà rempli sa mission.

— Confie-le à la surveillance de Torsten et qu’on l’attache solidement. Cet individu ne respecte ni sa parole ni ses serments. Il n’y a donc pas de raison de le traiter honorablement Enchaînez-le et ne le quittez pas un seul instant des yeux.

— Tu n’oseras pas ! s’écria Cadwalader d’une voix sifflante, et, d’un mouvement convulsif, il essaya de se jeter sur son juge ; des mains puissantes se saisirent de lui, le tirèrent en arrière avec une facilité insultante et le maintinrent, malgré ses contorsions, entre ses gardes ricanants.

Face à cette attitude empreinte d’indifférence, sa rage évoquait à peine plus qu’une colère d’enfant turbulent, qui se consuma d’elle-même quand il se rendit compte que ses simagrées étaient inutiles et qu’il devrait se résigner à accepter ce revers de fortune auquel il ne pouvait rien changer.

— Paie-nous ce que tu nous dois et va-t’en, prononça Otir avec une simplicité menaçante. Allez, emmène-le, ordonna-t-il à Torsten.

L'Été des Danois
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